HYACINTHE COLLIN DE VERMONT (1745-1761) / Y. MALRIN

COLLIN DE VERMONT SOUS LES DIRECTORATS DE LENORMANT DE TOURNEHEM ET DU MARQUIS DE MARIGNY (1745 – 1761) / YVES MALRIN


COLLIN DE VERMONT SOUS LES DIRECTORATS DE LENORMANT DE TOURNEHEM ET DU MARQUIS DE MARIGNY

Décembre 1745, Lenormant de Tournehem remplace le Contrôleur général Orry à la Direction générale des Bâtiments du Roi. On peut citer, ici, en guise d’introduction à ce chapitre, le jugement de Locquin sur cette période : "L’époque de Louis XIV et la régence lèguent, en 1747, à Lenormant de Tournehem une dizaine de Peintres d’Histoire, survivants des grands ateliers de Charles de la Fosse, Jean Jouvenet, Antoine Coypel, François de Troy et qui forment la transition entre l’Ecole de Le Brun et celle de François Lemoyne. Il est intéressant de rappeler leurs noms ici, puisqu’ils représentent, dans l’évolution du genre historique, une époque de goût plus grave et de style plus élevé que l’"Ecole de Lemoyne", et que le seul souvenir du temps de leur jeunesse les prédispose à accueillir avec sympathie le mouvement de réaction qui se dessine, en 1747, contre la "petite manière". Je cite les peintres présentés par locquin : " — Cazes (1654 -1754), — H de Favannes (1668-1752), — Galloche (1670-1761), — Silvestre (1675-1760), — DeTroy (1679-1752), — Parrocel (1688-1752), — Restout (1692-1768), — Collin de Vermont (1693-1761)" (89). Avec l’arrivée de cet ancien fermier général, la peinture d’histoire va connaître un renouveau ; politique qui sera poursuivie, en 1751, par son successeur : Marigny. Cette volonté de retrouver le climat artistique, qu’avaient su insuffler Colbert et Le Brun, sera exprimée par les efforts entrepris par Lenormant de Tournehem et Marigny pour relever la peinture d’histoire.

Je ne ferai pas, ici, l’étude du renouveau de la peinture d’histoire en France, mais je citerai les mesures prises qui seront profitables à notre peintre et qui expliquent l’évolution de sa carrière. En 1747, Tournehem organise un concours pour stimuler les peintres d’histoire ; Collin de Vermont y participe avec son Pyhrhus enfant reconnu par Glaucias (N°31) (90). En 1748, Tournehem et Coypel — nommé premier peintre du Roi le 20 janvier 1747 — instituent un Jury d’admission au Salon officiel du Louvre pour obliger les peintres à soigner leur production. Collin de Vermont fait partie de ce Jury (91). Le budget de l’Académie est en hausse. Collin de Vermont, comme les autres peintres d’histoire profitent de ce relèvement (92). Marigny poursuivra cette politique : il aura cette phrase : "Je crois Messieurs qu’en vous assurant que je ne m’écarterai point des principes de M.de Tournehem c’est vous prouver combien je songe aux avantages de l’Académie "(93). Lepicié remplace Coypel, en 1752. Il encourage la peinture d’histoire et rend justice aux autres genres que sont le portrait, le paysage et la peinture de genre. Collin de Vermont exécute son portrait, en 1751 (N°40) (94). Les faveurs du Directeur des Bâtiments pour les ateliers, les logements, les pensions ou les titres honorifiques sont attribués de préférence aux peintres d’histoire. En 1752, Marigny se fait présenter par Lépicié un état des artistes pensionnés du Roi. A la liste des neuf peintres, Marigny et Lépicié décident d’en ajouter d’autres. En tête de sa liste, Lépicié avait placé Collin de Vermont (95) (96). Collin de Vermont a demandé, dés 1747, l’obtention d’une pension. Voici la lettre écrite à Lenormant de Tournehem, le 27 novembre 1747 : "Monsieur. "Les asseurances pleines de bonne volonté que vous avez bien voulu me donner de vous ressouvenir de moi, à la première occasion m’autorisent aujourd’hui à avoir l’honneur de vous représenter que Mr Lemoyne, sculpteur, se trouvait dangereusement malade est dans un âge extrêmement avancé la pension qu’il a (si l’on venait à le perdre) se trouverait vacante et je l’espère d’autant plus que votre justice que je suis le seul de tous les professeurs tant peintres et sculpteurs qui n’ai point eu de parts aux dernières distributions si on excepte Mr Jeurat qui n’y pense point parce qu’il sait que je suis son ancien de plusieurs années. Si les actitudes à remplir mon devoir (blanc) à fortifier ma demande je puis me flatter de témoignages de toute l’Académie sur ce point ayant servi longtemps comme le plus ancien adjoint a manqué (blanc) d’autres dans les professeurs que j’ai (blanc) avec depuis nombre d’années sans interruption d’un seul jour. Cercle ardens que nous (blanc) Monsieurs d’illustrer pas que vous répondre sur l’Académie et cette affabilité qui vous distingue de tous vos prédécesseurs font violence à ma timidité philosophie et me donne lieu d’espérer que ce sera sous votre heureux gouvernement que j’aurai obtenu la première grâce que je n’ai jamais demandée. "Depuis que je suis dans l’Académie c’est dans cette attente que j’ai l’honneur de vous très respectueusement. Votre humble et très obéissant serviteur. Collin de Vermont " (97). Pour les pensions de l’année 1755, Collin de Vermont recevra, en 1756 : 500 Livres (98).
Cochin succède à Lépicié, en 1755, il décide de relever les prix de la peinture d’histoire par rapport aux autres genres. La peinture d’histoire sera payée à raison de 900 livres la toise carrée décision prise pour favoriser les grands morceaux (99). Collin de Vermont exécute une grande toile : La Présentation de la Vierge au temple, en 1755 (N°54).
Par toutes ces mesures que je viens d’énumérer, on prend conscience des efforts entrepris par la Direction des Bâtiments pour redonner à la peinture d’histoire sa première place dans la hiérarchie des genres.

Examinons, maintenant, l’application de ces mesures dans l’œuvre de notre peintre, entre 1745 et 1761 (année de sa mort).
Au Salon de 1746, Collin de Vermont présente deux tableaux : — Auguste et Cléopâtre (N°29) et — Auguste au milieu des Beaux-Arts (N°30) (100) ; deux sujets de l’histoire ancienne puisés dans les auteurs latins. Malheureusement, on ne peut pas les analyser par cause de perte de ces deux œuvres. La présentation de ces deux toiles est tout de même possible grâce au récit et au jugement de Lafont de Saint-Yenne que je me dois de rapporter, ici : "Deux tableaux du Sieur Collin de Vermont ont arrêtés agréablement les ïeux des spectateurs. Le premier est tout prés de l’escalier. Son sujet est une allégorie prise dans l’Histoire, et des mieux pensée. Auguste, cet Empereur romain, dont l’amour pour les grands génies et les beaux-Arts a plus immortalisé le règne que ses actions les plus héroïques, paroit dans un lieu décoré où il vient se délasser du fardeau de l’Empire, et gouter le plus noble loisir des Héros. Tous les arts l’environnent. La peinture doit y tenir le premier rang, est plus près de sa personne, et lui offre un tableau représentant le sacrifice d’Iphigénie. La sculpture à côté d’elle tient le modèle d’une statuë. L’Histoire s’y fait connoître par sa trompette et couronne de Laurier. La Musique, la Géographie, l’Architecture forment des groupes d’une belle ordonnance. L’auteur aurait pu varier davantage leurs habillemens trop maniérés, la plupart de leurs draperies étant nouées sur une épaule et l’autre découverte. Cet habile Peintre a depuis long-temps les Suffrages du Public pour les tableaux d’histoire"...."Les éloges du public ne se sont pas bornés dans celui d’Auguste à la beauté de l’ordonnance ; il a senti tout l’ingénieux de l’Allégorie qui a déguisé les traits de Louis. XV. dont la protection qu’il accorde aux beaux-Arts fait le sujet du tableau."...."C’est donc le règne de Louis XV qui est désigné" par Auguste."...."L’autre tableau du même auteur est à l’extrémité de la même face et sur la même ligne. C’est Cléopâtre suppliante aux genoux d’Auguste devenu son maître par la défaite d’Antoine. N’aïant plus d’espérance qu’en sa beauté ni de ressource qu’en la clémence du héros, elle parait à ses ïeux dans un profond abaissement où elle emploïe tous l’artifice de ses charmes et de ses pleurs pour l’émouvoir. C’est ce moment que le Peintre a choisi pour le sujet dans son tableau."..."Cette figure est si remarquable par son expression et par la belle lumière qui lui est répandüe, qu’elle rend celle d’Auguste peu intéressante."..."Il y a bien des beautés dans le tableau de Cléopâtre du Sieur de Vermont. La variété et le choix des attitudes, l’expression des caractères des femmes de cette Princesse, et ceux des officiers de la suite d’Auguste, l’accord des teintes vagues des figures placées dans le fond avec les plus vigoureuses du devant de la scène, forment un bel ensemble et d’une heureuse harmonie. Mais comme il est de beautés exemptes totalement de défauts, celui que l’on y a remarqué et le seul considérable, c’est que la Reine d’Egypte et l’Empereur Romain n’y sont point assez caractérisés pour être reconnus sans le secours du Livre imprimé qui en explique le sujet. Cette obscurité naît du défaut d’attributs qui leur soient propres, soit dans les habillements, le Héros n’étant point vêtu à la Romaine, ni l’Egyptienne en Africaine, soit par le lieu de la scène qui n’est nullement Historique..."(101).

Pour inciter et encourager les peintres à peindre des tableaux d’histoire, Lenormant de Tournehem institue, en 1747, sur le modèle, de 1727, un concours entre dix des officiers de l’Académie. Charles Coypel en désignera onze pour ce premier concours (102). En guise de présentation de ces onze académiciens je citerai le jugement de l’abbé Leblanc sur l’exposition, de 1747, présenté dans la correspondance de Grimm : "Le Roi pour embellir sa maison de Choisy a ordonné onze tableaux d’histoire aux meilleurs peintres de son royaume. Chaque artiste a été maître de choisir son sujet et on lui a payé son travail d’une bourse de jetons ou d’une médaille d’une valeur de 200 livres à son choix. Voici le jugement de l’abbé Leblanc : Restout : Alexandre qui après avoir bu le breuvage qui lui avait été préparé par Philippe son médecin lui donne à lire la lettre dans laquelle on lui marque que son médecin voulait l’empoisonner. Très beau par l’ensemble. Manque de la noblesse au personnage principal. Van Loo : Silène nourricier et compagnon de Bacchus. Coloris parfait à un temps où cette peinture est négligée en France. Dumont : Mutius Scaevola qui se brûle le poing pour avoir tué le secrétaire de Pansenna au lieu de Porsenna. Figures bien disposées pas de confusion. Le Roi porte un diadème sur la tête, on ne peut se tromper. Boucher : Jupiter changé en taureau portant sur son dos Europe qu’il enlève par surprise. Gracieux et volupté de la composition, les coloris ne sont pas beaux et le rose domine de trop. Natoire : tiré d’Anacréon tête de Bacchus. Perspective aérienne parfaite. Les figures ont une âme infinie. La terrasse est trop grise et nue. Pierre : Armide qui voyant l’armée des Sarazins défaite, craignant de tomber entre les mains de Renaud, s’éloigne et tire de son carquois une flèche pour se tuer. Renaud survient et l’arrête. Expressions des visages pas assez pathétiques et vraies. Armide manque de grâce, Renaud de noblesse. Coloris maniéré. Jeurat : Diogène qui voyant un jeune garçon boire dans sa main brise sa tasse comme lui devenant inutile. Bien pour placer l’action à Athènes ; pas assez de force et de chaleur dans cet ouvrage. Collin : Pyrrhus dérobé à la fureur des meurtriers de son père et embrassant les genoux du Roi d’Esclavonie auquel on l’amène d’un air aussi suppliant que s’il était en âge de raison. Ce tableau ne fait pas l’impression qu’une action aussi intéressante devrait produire naturellement et les figures y sont trop multipliées. Clerc : Moïse sauvé des eaux. Figures bien dessinées, mais toutes la même physionomie. Coloris pas heureux. Galoche et Cazes : pas fini. 1 à 9 exposés au Louvre "(103). A cette présentation de l’abbé Leblanc, il faut ajouter que les sujets de Galloche et de Cazes furent respectivement : Coriolan et l’Enlèvement d’Europe. A ceci, il faut préciser que Collin de Vermont et les dix autres académiciens ont reçu de Lenormant de Tournehem "un portefeuille de maroquin bleu fermé d’une fleur de lys d’or avec une ordonnance de 1500 francs"  en plus de la bourse de 100 jetons et de la médaille d’or (104).

Intéressons-nous au tableau de Collin de Vermont, Pyhrrus enfant reconnu par le Roi Glaucias (N°31). Le tableau mesure 1 m,65 de haut. sur 1 m,94 de large La composition est conventionnelle pour ce sujet tiré de Plutarque. Dans une architecture antique, rappelant l’époque historique à laquelle cet évènement se rapporte, un groupe de personnages placé en demi-cercle autour du groupe principal, formé du Roi Glaucias et du petit Pyrrhus, ferme la composition sur la droite, sur le derrière et sur la gauche, créant une large ouverture sur le devant du tableau provoquant un espace sans obstacle jusqu’au lieu où se déroule l’imploration. Si par sa composition Collin de Vermont réussit à privilégier l’instant le plus décisif de cet épisode, il y parvient aussi par la répartition des coloris. L’ordonnance se fait autour de la robe jaune du Roi Glaucias, masse de lumière au centre du tableau qui illumine l’enfant nu, laissant dans la pénombre les autres témoins, qui par leurs attitudes et par leurs gestes participent à cette imploration ; elle isole les deux principaux protagonistes des autres personnages et établit entre eux une attention respective. Elle révèle l’importance du discours tenu par le petit Pyrrhus au Roi Glaucias. Ce tableau a été gravé par Jean-Charles Levasseur (1734-1816) sous le nom : Glaucias, Roi d’Illyrie, prend Pyhrrus sous sa protection. Il est mentionné dans le catalogue raisonné de ce graveur que le tableau original peint par Collin de Vermont était dans le Cabinet du Roi (105). Ce tableau exposé, au Salon de 1747, ainsi que ceux des dix autres participants au concours, n’a reçu qu’une approbation feutrée. Le résultat attendu par Lenormant de Tournehem ne dut pas le satisfaire totalement, car il n’a pas renouvelé ce genre de concours.

Les seules informations connues, pour l’année 1748, sont au nombre de trois et elles nous renseignent dans deux domaines. Diverses sources : le livret officiel du Salon de 1748 (106) et les archives de la maison du Roi (107) nous apprennent que Collin de Vermont a peint une Education de la Vierge (N°32) qu’il expose, au Salon de 1748. Tableau commandé par Lenormant de Tournehem pour l’Oratoire de Madame à Fontainebleau. On trouve la trace du paiement dans les archives de la Maison du Roi. Ce tableau a été payé, le 9 février 1749, 800 Livres. Voici comment il est présenté dans ces archives : "Ce mémoire a été présenté à Monsieur de Tournehem le 9 janvier 1747 et réglé à 800 Livres, payé en entier le 9 février 1749. "Mémoire pour l’Oratoire de Madame à Fontainebleau fait par ordre de Monsieur Tournehem Directeur et Ordonnateur général des Bâtiments, Jardins, et Manufactures de Sa Majesté par Collin de Vermont. " "Ce tableau a cinq pieds de haut sur quatre de large." "Il est composé de 3 figures représentant l’éducation de la Vierge par Sainte Anne et Saint Joachim" (108). Ce sont là les seules informations que nous possédons sur ce tableau. Messelet in L. Dimier affirme qu’il est perdu (109). Les recherches que j’ai effectuées ne m’ont pas permis d’ajouter de nouveaux renseignements à ceux déjà connus.
Le second domaine dans lequel nous avons des informations, pour l’année 1748, concerne la place de notre peintre dans l’Académie. Les procès verbaux de l’Académie nous révèlent que Collin de Vermont a été choisi pour examiner les tableaux au Salon (110). Il faut replacer ce choix dans le contexte artistique de l’époque. Le Jury d’admission au Salon officiel du Louvre était formé pour la majorité par des peintres d’histoire.   Collin de Vermont est un peintre d’histoire, sa production est dans la lignée de celle de l’école de Le Brun, et ce en pleine époque rocaille où comme nous l’avons déjà écrit le petit genre était ascendant sur la grande peinture d’histoire. Lenormant de Tournehem a par ce choix inscrit la volonté qui était la sienne c’est-à-dire revaloriser la peinture d’histoire en contrôlant les sujets présentés au Salon. Pour cette tâche il savait qu’il pouvait avoir confiance en Collin de Vermont.
Une autre marque extérieure est attribuée à Collin de Vermont par l’Académie, et ce toujours, en 1748, l’exécution de son portrait par le peintre Loir pour son morceau de réception à l’Académie. Décision prise, le 2 avril 1748 (111). Loir ne pourra exécuter ce travail pour cause de départ en Angleterre, alors l’Académie chargera, le 28 juillet 1753, le peintre suédois, Roslin, lui aussi pour sa réception, de peindre le portrait de Collin de Vermont (112). Ce tableau, aujourd’hui, au Musée national du Château de Versailles, a été présenté, le 10 novembre 1753, à l’Académie (113). Ce portrait, pour qui s’intéresse à Collin de Vermont a une valeur "sentimentale". Il est toujours émouvant de découvrir le visage d’une personne sur laquelle nos recherches nous ont amenés à poser notre attention, notre intérêt et notre curiosité. Cette huile sur toile représente le peintre à l’âge de 60 ans. Il est représenté, debout, de trois quarts, devant son chevalet, en train de dessiner. Le peintre, pour cette occasion, pose : "perruqué", habillé de ses beaux habits, les crayons à la main, il regarde son portraitiste. Les traits de son visage sont réguliers, mais assez sévères : le nez fin, la bouche fine, les joues un peu creuses et les yeux bruns. La perruque, les vêtements et ce visage quelque peu sévère donnent à cet artiste une certaine fierté et noblesse. Le graveur Manuel-Salvador Carmona a présenté pour sa réception à l’Académie, le 3 octobre 1761, l’estampe gravée d’après ce portrait (114). Estampe conservée, elle aussi, au Musée national du Château de Versailles.

La politique de revalorisation de la grande peinture entreprise par Lenormant de Tournehem, politique de subsides et de commandes en faveur des peintres d’histoire, sentira les résultats bénéfiques de ces faits vers 1750 et 1751. Le goût se transforme ; non pas que la peinture dite de "petite manière" disparaisse en ce milieu de siècle, elle sera encore très présente, jusqu’en 1760, mais l’intérêt pour la peinture d’histoire se fait grandissant. Les fouilles archéologiques de Herculanum et de Pompéi et la découverte de Paestum, entre 1750 et 1760, vont susciter un vif enthousiasme et un vif intérêt chez les amateurs d’art. Intérêt repris par les intellectuels. Critiques d’art, écrivains, moralistes militent, dans leurs écrits, pour un retour au "Grand goût". Lafont de Saint Yenne, Caylus, l’Abbé Leblanc et Diderot sont de ceux qui œuvrent dans ce sens. Si l’impulsion créée par les Bâtiments du Roi, par les intellectuels et par les amateurs d’art et d’archéologie, pour un relèvement de la peinture d’histoire, a pu et a su se concrétiser, c’est grâce à la continuité de direction entre Lenormant de Tournehem et le Marquis de Marigny à la tête des Bâtiments du Roi. En 1751, Le Marquis de Marigny remplace son oncle décédé. Continuité d’une politique artistique pour une rupture du goût.

La dernière commande que reçut Collin de Vermont de Lenormant de Tournehem, en 1750, a été quatre tableaux, dessus de porte, pour le Château de Trianon (115). Quatre sujets tirés des Métamorphoses d’Ovide : — Jupiter et Mercure chez Philémon et Baucis (N°35), et — le Rajeunissement d’Iolas par Hébé (N°36) sont exposés, au Salon de 1750 (116). L’année suivante ont été exposés, au Salon : — Bacchus change en feuilles de vigne les ouvrages des Minéïdes (N°37) et — une Danse de nymphes qui changent un berger insolent en olivier sauvage (N°38) (117). Pour quels lieux du Château de Trianon étaient destinés ces quatre tableaux ? Engerand dans son ouvrage nous apporte quelques indications : "Ce ne fut qu’en 1750 que le Roi commença à retourner dans cette résidence ; alors on y fit construire le Pavillon français, avec les quatre cabinets de salle à manger d’été. Ce fut probablement une de ces pièces que Collin de Vermont eut à décorer" (118). Renseignement contredit par un récapitulatif des mémoires des différents tableaux commandés à Collin de Vermont par la Direction des  Bâtiments du Roi qui nous informe du lieu pour lequel ont été commandés les quatre tableaux nommés ci-dessus : ce décor fut exécuté pour la Chambre du Roi à Trianon (119) (120). Ces quatre dessus de portes qui décorent la salle de porcelaines dans les appartements de Louis XV viennent d’être restaurés ; travail qui nous permet d’apprécier, à juste titre, les coloris de ces quatre tableaux et de juger du talent de notre peintre dans ce domaine. A la différence des précédents tableaux où les années ont terni les couleurs, on peut admirer, ici, les effets luministes et les coloris clairs, davantage inspirés de la peinture vénitienne du XVI ° siècle que de la peinture flamande du XVII ° siècle. Atouts décoratifs qui contribuent au sentiment de fraicheur et de bonheur que dispensent ces quatre toiles. Ces quatre tableaux sont représentatifs de la peinture décorative de cette époque où l’intérêt pour les détails de l’action et pour les passions tombe au profit de l’anecdote décorative et où les rapports entre les objets et les couleurs sont privilégiés. Malgré les qualités décoratives, convenablement maîtrisées par Collin de Vermont et l’adhésion à un style qui refuse le côté dramatique des sujets, on perçoit toujours dans ces quatre tableaux le rattachement aux normes du "Grand Siècle" : les compositions sont toujours empreintes d’une grande rigueur et les attitudes et les expressions des personnages refusent toute fantaisie. On trouve chez Collin de Vermont, comme chez beaucoup de peintres de sa génération, un compromis entre le "grand goût" pour la manière de composer et la" petite manière" pour le coloris. Ces quatre tableaux lui ont rapporté 2400 livres. Deux versements de 1200 livres lui ont été versés : le premier, le 22 mai 1752 et le second, le 28 aout 1752 (121).

Il faut revenir à l’année 1750, avant d’aller plus loin dans l’étude chronologique de l’œuvre de notre peintre. Au Salon de 1750, aux côtés des deux dessus de porte pour le Château de Trianon, sont exposées deux autres toiles : — Anacréon et l’Amour (N°34) et — une Visitation (N°33) (122). Une nouvelle fois, les renseignements sur ces deux œuvres sont presque inexistants. Le livret du Salon, de 1750, nous informe que Sainte Elizabeth dans le tableau la Visitation est un portrait. C’est la seule indication que nous ayons de ce tableau disparu, aujourd’hui.

Le Salon de 1751, outre les deux dessus de porte pour le Château de Trianon dont nous avons déjà rendu compte, est très intéressant et très important à deux titres différents.
Le premier est la présentation de la suite des esquisses sur l’histoire de Cyrus  exposée au Salon, de 1737. Cette longue et grande entreprise marquera l’œuvre de Collin de Vermont. Dans l’histoire de l’art que cela soit de son vivant, ou à travers sa fortune critique, les esquisses sur l’histoire de Cyrus seront toujours associées au nom du peintre. Elles seront son passeport pour l’histoire de l’art et éviteront que son nom tombe dans l’anonymat. Cette reconnaissance impose une étude approfondie et détaillée de ces esquisses et par conséquent l’historique de celles-ci sera présenté exceptionnellement dans ce chapitre, en plus du catalogue raisonné. Pour cette recherche, je me référerai très souvent à l’article de Mlle Gendre, Conservateur du Musée Lambinet de Versailles (123). Article qui propose les informations les plus complètes sur ce sujet.
En premier lieu, attachons-nous à déterminer le nombre de ces esquisses. Les livrets des Salons, de 1737 et 1751, et plusieurs ouvrages et catalogues de vente divergent sur ce point.
Pour ce, commençons cette recherche par l’étude des livrets des Salons, de 1737 et de 1751. Au Salon de 1737, Collin de Vermont a présenté vingt et une esquisses ; chiffre établi d’après le compte rendu détaillé du nombre des sujets présentés (124). Ces sujets, sans aucune autre information, étaient annoncés soit à l’unité :" Un sujet sur l’histoire de Cyrus", soit groupés par deux ou quatre : "Quatre sujets de la suite de l’histoire de Cyrus". Décompte que l’on peut considérer comme sérieux si l’on en juge par le soin dont cette suite a été comptabilisée. Chiffre qui ne sera pas remis en cause, pour ma part, et que je conserverai pour la suite de la démonstration. On peut ajouter pour étayer cette donnée que c’est la première fois que cette série sur l’histoire de Cyrus est présentée ; élément qui aura son importance, lors du Salon de 1751. "L’histoire de Cyrus a été composée par l’auteur en trente-trois tableaux. En 1737, il en peint seize au Salon, mais sans explication & sans suite." Cette année, on a cru devoir en donner une de dix-sept Tableaux nouveaux qu’on expose, laquelle en ajoutant à celle-ci quatre des anciens formâts, comme un Abrégé complet de la Vie de ce Prince". Ces vingt un Tableaux sont sous le même numéro (125). Voici comment est présentée la suite des esquisses sur l’histoire de Cyrus au Salon, de 1751.
Après la lecture de cette présentation, on comprend tout de suite que le litige sur le nombre total des esquisses nait du chiffre seize annoncé par le livret du Salon, de 1751, comme le nombre de tableaux présentés, en 1737. Si l’on admet que vingt et une esquisses ont été exposées, en 1737, les deux séries totaliseraient trente-huit tableaux ; par contre si seize seulement ont été présentées, toujours en 1737, le nombre total serait de trente-trois. Trente-trois est le chiffre total de ces deux séries qui est cité au Salon, de 1751 et c’est aussi le nombre des tableaux sur l’histoire de Cyrus, que l’on dénombrera dans l’inventaire après décès de Collin de Vermont : "Trente-trois petits tableaux sous le même numéro, toile de 8, tous bordés de petites bordures dorées, suite complète de l’histoire de Cyrus, originaux de M. De Vermont" (126). Le Mercure de France, du mois d’octobre 1751 (127), cite cinquante-deux morceaux ; le Comte de Caylus aussi (128), mais dans une note il rectifiera, d’après le livret de 1751, et s’accordera à l’existence des trente-trois morceaux (129). Si l’on prend les chiffres des livrets, de 1737 et de 1751, les deux séries sur l’histoire de Cyrus totalisent à elles deux : trente-huit tableaux, l’excédent de cinq tableaux peut s’expliquer de trois façons différentes.
La première, une erreur sur le chiffre seize. Le rédacteur du livret du Salon, de 1751, a peut-être commis une erreur involontaire ; sachant que le nombre total des esquisses sur l’histoire de Cyrus était de trente-trois et qu’il était en présence de dix-sept nouvelles, il a pu en déduire que seize avaient été exposées, en 1737.
La deuxième, est celle que suggère Mlle Gendre dans son article : "Il devait y avoir des tableaux comptés comme "nouveaux" qui avaient été exposés au Salon précédent, car nous en dénombrerions au total trente-huit esquisses" (130).
Troisièmement, ce litige sur le nombre d’esquisses présentées, au Salon de 1737, peut venir aussi de l’artiste. On a déjà remarqué qu’il lui arrivait de présenter le même tableau à plusieurs Salons : Antiochus amoureux de sa maîtresse a été présenté, en 1727 et en 1737. Si Vingt et un est le nombre exact des tableaux présentés, en 1737, parmi les dix-sept "nouvelles", seules douze le sont vraiment et cinq devaient être des "anciennes", auxquelles il faut ajouter les quatre qualifiées d’anciennes présentées sous le même numéro.
En résumé et en conclusion à cette démonstration, on peut répartir le nombre de ces esquisses à vingt et une au Salon de 1737 et douze "nouvelles" et neuf "anciennes" au Salon de 1751, donc un total de trente-trois esquisses.

Cette mise en place du nombre des esquisses nous amène à poursuivre l’historique de ces trente-trois tableaux. Les trente-trois tableaux sont restés chez le peintre jusqu’à sa mort. Pour la suite de cet historique, je citerai les informations qu’a publiées Mlle Gendre dans son article *(Revue du Louvre, 1983) qui sont très précises et auxquelles je n’ai rien trouvé de nouveau à ajouter dans mes recherches à travers l’étude des catalogues de vente.
"Elles furent vendues (mention de trente-deux esquisses et non plus de trente-trois), lors de la vente du Comte de Quincey, à Paris, le 22 juin 1904, avec une attribution à Le Brun. Dans la préface de ce catalogue, L. Roger-Miles nous apprend que les œuvres, entre temps, étaient passées, en 1817, dans la collection du troisième fils du prince Charles-François Lebrun, Duc de Plaisance, lors de son mariage avec Mlle Cardon. Cette collection passa ensuite par l’héritage à sa fille, qui avait épousé le comte Daru, fils ainé du ministre de Napoléon Ier. Ces trente-deux esquisses se retrouvent alors mentionnées dans le catalogue de vente anonyme, de 1925, mais cette fois, elles sont données à Collin de Vermont. C’est à cette date qu’elles sont dispersées, témoignant d’un changement de goût et du peu d’intérêt des collectionneurs pour la peinture d’histoire".
Il est intéressant de revenir sur cet historique et d’étudier les différents documents qui le tracent et principalement le catalogue de la vente Quincey. L. Roger-Miles, dans la préface du catalogue de la vente, du 22 juin 1904, nous précise que ces trente-deux esquisses peuvent être de la main de Le Brun. Information que l’on sait fausse, aujourd’hui, et que L. Roger-Miles aurait pu ne pas commettre en se référant aux différents ouvrages du XVIII ° siècle tel que le "Dictionnaire des artistes" par Fontenay, paru, en 1776, ou au livre de Pahin de la Blancherie :" Essai d’un tableau historique des peintres de l’école française depuis Jean Cousin en 1500 jusqu’en 1783 inclusivement.", mais fallait-il qu’il sache que Collin de Vermont en fut l’auteur. Il est par contre, instructif de savoir que ces tableaux ont été attribués à Le Brun au XIX ° siècle. Cela prouve, pour qui ne connait pas l’auteur de ces esquisses, combien le style de ces trente-deux morceaux s’apparente au climat artistique de la fin du  XVII ° siècle, mais surtout à Le Brun. Il est d’autant plus intéressant de mettre en corrélation cette dichotomie quand on sait que cette histoire de Cyrus a été composée en pleine période rocaille. Collin de Vermont s’est profondément inspiré de l’œuvre de Le Brun pour son histoire de Cyrus. Comme il l’avait déjà fait pour son tableau : Antiochus amoureux de sa maîtresse (N°3) en s’inspirant de la Mort de Méléagre de Le Brun. Cette attribution à Le Brun incite L. Roger-Miles à écrire : "Si l’on songe d’autre part à la puissance créatrice de Le Brun, l’un des plus grands peintres de l’école française du XVII ° siècle, celui qui eut la gloire d’imposer un style à son siècle, un style si parfaitement d’accord avec les désidératas de l’autorité monarchique d’alors, on doit comprendre avec quelle verve Le Brun sut exécuter ces compositions où il se plaisait sous le masque de l’héroïque figure antique à exalter un prince qu’il avait suffisamment comblé de bienfaits, pour qu’il fût excusable de donner à la flatterie un parfum de la gratitude ". Commentaire qui perd sa valeur pour Collin de Vermont. Sa situation n’a rien de comparable avec celle de Le Brun et ses relations avec Louis XV sont inexistantes. Mais, en deçà des rapports privilégiés qui peuvent s’instaurer entre un souverain et un peintre, il y a le respect. Sentiment que Collin de Vermont a peut-être voulu exprimer au Protecteur des Arts par le choix de l’histoire de Cyrus. Sentiment qu’il avait déjà traité dans son tableau : Auguste au milieu des Beaux-Arts en 1746 (N°30). Cyrus est un héros de l’antiquité. La vie de ce prince perse est mentionnée dans l’Ancien Testament, mais elle est aussi rapportée par plusieurs auteurs grecs et romains, tels que Xénophon, Hérodote et Quinte Curce (131). Ces textes, utilisés par Collin de Vermont, ont d’importantes divergences sur le déroulement de la vie de Cyrus, mais il est toujours présenté comme un prince courageux et loyal ; il sait se battre et il n’a pas peur d’affronter la mort lors des combats guerriers tout en rendant les honneurs aux vaincus et tout en sachant être loyal et tolérant avec les peuples. On se doit, ici, de résumer en quelques lignes la vie de cet illustre conquérant en faisant part des contradictions de ces ouvrages littéraires. Exercice qui permettra, par la suite, de citer les thèmes choisis par Collin de Vermont pour illustrer la vie de ce prince et par delà ces choix littéraires.

Cyrus, fils de Cambyses Prince des Perses et de Mandane fille de Astyage Roi des Médes, naquit vers -599. Deux récits s’opposent à propos de l’enfance de Cyrus (132). Selon Xénophon, Cyrus fut élevé avec le plus grand soin par son grand-père Astyages. D’après Hérodote, Astyages fit un songe dans lequel il lui semblait voir sa fille, Mandane, accoucher d’une vigne qui portait ombre à toute l’Asie. Expliquant ce songe, les oracles prédirent qu’il serait détrôné par son petit fils. Astyage décida après la naissance de Cyrus de confier l’enfant à un seigneur mède, Harpage, pour que celui-ci emmène l’enfant et le tue. Mais, Harpage ne put exécuter cet acte et laissa cette horrible mission à un berger. Ce berger porta l’enfant chez lui et décida de l’échanger avec l’enfant mort que sa femme venait de mettre au monde. Il déposa son propre enfant sur les montagnes à la merci des bêtes féroces comme le lui avait ordonné Harpage pour Cyrus. Lors d’un jeu, le jeune Cyrus, fils du berger, fit fouetter le fils d’Artambares, seigneur mède. Celui-ci rapporta l’événement à la cour. Astyages convoqua le berger et son fils. Etonné de la fierté de cet enfant, il fait une relation entre cet enfant et l’enfant de Mandane qu’il avait fait disparaître. Sous ses questions et ses menaces, le berger et Harpage avouent la duperie. Astyages suivant les conseils des oracles, décide de laisser la vie à Cyrus. Fâché de cette trahison, Astyages élabore un plan pour se venger d'Harpage. Astyages invite Harpage et son fils à un repas au palais pour fêter le retour de Cyrus. Mais, suivant les ordres du Roi, Harpage s’y rend seul. Son fils capturé par des gardes du Roi est découpé en morceaux et transformé en un mets. Ce plat sera servi à Harpage, à qui sera apporté à la fin du repas la tête, les pieds et les mains de son fils. Quand Cyrus eut atteint l’âge de vingt ans, Harpage lui écrivit pour l’instruire de la cruauté de son grand-père et lui proposa de mettre à sa disposition une partie de l’armée. Le comportement d’Astyages avait créé une hostilité entre lui et l’élite mède à la tête de laquelle était Harpage. La tension fut exploitée par Cyrus qui provoqua une révolte chez les Perses. Le conflit entre Cyrus et Astiages dura trois ans, de -553 à -550 av J.C.. Grâce à la trahison d'Harpage, Cyrus remporta la victoire. Le prince achéménide fit Astyages prisonnier et le traita humainement. Cyrus s’empara de la capitale Ecbatane et se déclara Roi des Mèdes. Il prit le titre de Roi des Perses et Roi des Mèdes. Vers -546 av J.C., il se heurte à Crésus Roi de Lydie qu’il renversa à Sardes lors d’un siège de seize jours. Il fit preuve d’une grande clémence envers Crésus. Après ses victoires sur ces deux Rois, il marcha vers Babylone pour renverser cette ville. Entre temps, Evilmerodack qui régnait sur cet empire fut vaincu par Balthazar. Ce dernier s’empara de ce lieu, mais aussi de la première beauté d’Orient : Penthée, épouse d’Abradate, Roi de la Susiance et allié de Babylone. Cyrus, dans sa marche vers Babylone, fut rejoint par Gobrias, qui irrité de la cruauté de Balthazar, lui remit ses Etats, sa capitale son palais et lui présenta sa fille. Penthée de son côté, marquée du respect qu’elle avait reçu de Cyrus, incita son mari, Abradate, à se battre aux côtés de Cyrus. Le jour de cette grande bataille entre les deux empires, Penthée arma le char de son mari et lui rappela les obligations qu’il avait envers Cyrus. Le combat fut mortel pour Abradate, et faillit l’être aussi pour le Roi des Perses et des Mèdes. Un soldat ayant transpercé le cheval de Cyrus, celui-ci tomba au milieu des autres combattants, mais réussit à remonter sur un cheval d’un de ses gardes et sortit victorieux du combat. Rentrant au camp, il s’inquiéta du sort de son compagnon, Abradate, c’est alors qu’on l’informa de sa mort et qu’on lui dit que sa femme était occupée à ses funérailles sur les bords du Pactole. Penthée ne put survivre à cette mort et se tua sur le corps de son mari. Cependant, Babylone se croyait imprenable. Cyrus décida de creuser des tranchées entre cette ville et l’Euphrate. La nuit, où pendant la fête de Bacchus, Balthazar profanait les vases sacrés, apparut sur les murs la main fatale écrivant sa condamnation en ces mots : MANE, THECEL, PHARES. Seul Daniel put traduire ces trois mots et annonça à Balthazar qu’il perdrait son royaume cette nuit même. Comme si Cyrus avait eu le signal de Dieu, il fit dégorger l’Euphrate dans ses tranchées et entra avec Darius dans Babylone. Maître de l’empire babylonien, Cyrus rendit aux Juifs leur liberté. Après ce combat, il se montra à ses sujets dans toute sa splendeur et rentra en Médie. Là, Darius lui fit mettre sur la tête une couronne d’or par les mains de sa fille, Mandane, et la lui donna en mariage avec la Médie pour dot. Avant de répondre, Cyrus rentra chez lui pour avoir l’agrément de son père, Cambyses, et de sa mère Mandane. Ses parents ne s’opposant pas au mariage, il célébra son mariage avec la fille de Darius. Mais poussé par l’envie de conquérir d’autres peuples il fit semblant de vouloir épouser la Reine des Massagètes, il pénétra dans ses Etats, le mariage ne se faisant point, Cyrus refusa de se retirer. Une bataille s’engagea puis une seconde, la dernière pour Cyrus. Thomyris saisit la tête de Cyrus et la lui plongea dans un vase plein de sang et lui dit :" Rassasie-toi du sang dont tu as été si altéré. Deux cent ans après, Alexandre surpris de l’absence de richesses dans le tombeau de Cyrus, y fit déposer une couronne d’or.

Collin de Vermont tire trente-trois esquisses de la vie de Cyrus. Le catalogue de Vente, de 1925, où trente-deux de ces esquisses étaient présentées, et ce pour la dernière fois avant d’être éparpillées, nous livre la liste de ces trente-deux morceaux présentés lors de cette vente :
— Isaïe prophétise la naissance de Cyrus.
— La vigne ou le songe d’Astyages.
— Cyrus nouveau-né voué à la mort.
— Cyrus sauvé par un berger.
— Cyrus fait fouetter le fils d’Artambares.
— Cyrus reconnu par Astyages.
— Naissance de Cyrus révélée par le berger.
— Harpage recevant la tête de son fils.
— La cruauté d’Astyages révélée à Cyrus.
— Astyages défait insulté par Harpage.
— Cyrus fait enchainer Astyages.
— Le festin de Balthazar.
— Mane Thécel Pharés, explique Daniel.
— Evilmerodack battu par Cyrus.
— Adieux de Penthée à Abradate.
— Mort d’Abradate.
— Cette mort déplorée par Cyrus.
— Cyrus change de cheval dans le combat.
— Tranchées creusées devant Babylone.
— Prise de Babylone. — Babylone livrée aux flammes.
— Triomphe de Cyrus.
— Retour de Cyrus auprès de Cambyses.
— Les noces de Cyrus et de Mandane.
— Cyrus renversé dans le combat que lui livrent les Egyptiens.
— Un des Rois vaincu par Cyrus, brulé.
— Cyrus couronné par Mandane.
— Liberté rendue aux juifs par Cyrus.
— La fille de Gobrias présentée à Cyrus.
— Mort de Cyrus. — Thomyris plonge la tête de Cyrus dans un vase de sang.
— Alexandre au tombeau de Cyrus (133).
Grâce aux indications du livret du Salon, de 1751, on peut tenter de trier les trente-trois esquisses afin de savoir lesquelles datent, de 1737 ou de 1751.
Vingt thèmes dans la narration de l’histoire de Cyrus sont mentionnés comme "tableaux nouveaux" dans le livret du Salon, de 1751. On peut s’étonner de ce chiffre, car vingt et une esquisses sont annoncées dans le préambule : dix-sept nouvelles et quatre anciennes. — Astyages consulte les astrologues de son Royaume. — Harpage ne peut se résoudre à tremper ses mains dans ce sang si précieux. — Cyrus pendant dix ans passa pour être le fils du berger. — Le fils d’Artambares refuse d’obéir à Cyrus. — Astyages est étonné par le regard de Cyrus. — Astyages demande à Harpage si son plat était bon. — Astyages perd la bataille et la liberté. — Gobrias met Cyrus en possession de ses Etats. — Penthée arme elle-même le char d’Abradate. — Cyrus est renversé dans la bataille. — Cyrus pleure sur le corps d’Abradate. — Mané Thecel Pharès. — Balthazar condamné à perdre son royaume. — Cyrus rend la liberté aux juifs. — Darius donne sa fille Mandane en mariage à Cyrus. — Cyrus revient en Perse visiter cambyses et Mandane. — Cyrus célèbre son mariage avec Mandane. — Cyrus est tué dans sa seconde bataille contre Penthée. — Thomyris plonge la tête de Cyrus dans un vase de sang. — Alexandre dépose une couronne d’or sur la tombe de Cyrus.
Douze sont notés comme "tableaux anciens" : — Isaïe annonce à la Terre deux cents ans avant la naissance de Cyrus. — Astyages rêve que sa fille accouche d’une vigne. — Harpage confie à Cyrus la cruauté d’Astyages. — Cyrus remet les Etats d’Astyages à Darius (5  tableaux). — Mort de Evilmérodack. — Cyrus creuse des fossés autour de Babylone. — Cyrus se montre à ses Sujets dans sa splendeur. — Cyrus gagne la première bataille contre Penthée (134).
Neuf de ces trente-trois esquisses sont conservées dans les collections publiques françaises : — Cyrus adolescent, fait fouetter le fils d’Artambares (N°18). — Le festin de Balthazar (N°19), au Musée Magnin de Dijon. — Cyrus s’emparant de Babylone, au Musée de Strasbourg (N°6 & 20). — Le mariage antique au Musée de Tours (N°49). — L’allégorie de l’éducation de Cyrus au Musée municipal de Cholet (N°50). — Un soldat amène un cheval à Cyrus, dont la monture vient d’être tuée sous lui (N°41). — Cyrus déplore la mort d’Abradate et console Penthée (N°42). — La reine Thomyris fait plonger la tête de Cyrus dans un vase rempli de sang (N°43).   — Alexandre, vainqueur des Perses, fait déposer une couronne d’or sur le tombeau de Cyrus (N°44), au Musée Lambinet de Versailles.
Dans les Collections privées seulement quatre esquisses sur l’histoire de Cyrus sont répertoriées à ce jour : — Darius donne sa fille Mandane en mariage à Cyrus (N°48). — Astyages fait apporter à Harpage un plat contenant la tête, les pieds, et les mains de son fils (N°47). — Astyages confie Cyrus à Harpage (N°46). — Cyrus rend la liberté aux Juifs (N°45).

On peut qualifier l’œuvre des esquisses sur l’histoire de Cyrus comme singulier dans l’œuvre de Collin de Vermont. Le fait que ces tableaux soient des esquisses y est pour beaucoup. Le regard est différent. On ressent, avec une certaine émotion la fougue du peintre pour ce travail de préparation. Les tableaux sont en quelque sorte plus proches de nous. Ils nous offrent la possibilité de percevoir une phase du travail souvent occultée. On a l’impression de percer l’intimité du peintre lors de son travail dans son atelier. Elles sont différentes du reste de sa production par la pluralité des scènes, par la justesse du dessin par la réalité du rendu des attitudes et par la diversité des expressions. Qualités rarement réunies dans ses autres tableaux.
La variété des sujets de l’épopée épique de Cyrus a permis à Collin de Vermont de diversifier ses compositions.
Soit il place, au centre du tableau, les principaux protagonistes de la scène et à partir de cet axe, il construit sa toile de façon symétrique : — Le Mariage antique. — Cyrus rend la liberté aux Juifs. — Alexandre dépose une couronne sur le tombeau de Cyrus. — Thomyris fait plonger la tête de Cyrus dans un vase de sang. Soit il ordonne ses figures dans des groupes : — Astyages confie Cyrus à Harpage. — Cyrus déplore la mort d’Abradate. — Cyrus adolescent fait fouetter le fils d’Artambares. — Le Festin de Baltahzar.
Ou alors il donne un style épique à ses compositions : — Un soldat amène un cheval à Cyrus dont la monture vient d’être tuée. — Cyrus s’emparant de Babylone.
Il varie selon le sujet ou l’épisode traité, les scènes diurnes : — Cyrus adolescent fait fouetter le fils d’Artambares. — Un soldat amène un cheval à Cyrus dont la monture vient d’être tuée sous lui. — Cyrus déplore la mort d’Abradate et console Penthée. — Thomyris fait plonger la tête de Cyrus dans un vase rempli de sang. — Cyrus rend la liberté aux Juifs. — Le mariage antique. Et les scènes nocturnes : — Le festin de Balthazar. — Cyrus s’emparant de Babylone. Les scènes d’extérieur : — Cyrus adolescent fait fouetter le fil d’Artambares. — Le mariage antique. — Un soldat amène un cheval à Cyrus sont la monture vient d’être tuée sous lui. — Cyrus déplore la mort d’Abradate et console Penthée. — Cyrus s’emparant de Babylone. Et les scènes d’intérieur : — Le festin de Balthazar. — Alexandre vainqueur des Perses fait poser une couronne sur le tombeau de Cyrus. — Thomyris fait plonger la tête de Cyrus dans un vase rempli de sang. — Astiages confie Cyrus à Harpage. — Cyrus rend la liberté aux Juifs.
Quelle que soit la diversité des scènes, on retrouve dans les esquisses sur l’histoire de Cyrus une unité de style. On remarque, dans tous les tableaux, un nombre important de personnages, élément jamais rencontré dans les autres tableaux n’appartenant pas à cette suite. Scènes intimes ou scènes de combats, il multiplie les figures. C’est là une manière de traduire le côté épique de cette aventure. On constate l’excellent rendu des mouvements, attitudes et expressions pour tous ces personnages. Collin de Vermont a réussi à rendre cohérent l’ensemble de ces compositions.
Dernier point commun, que l’on peut observer, ce sont les coloris bruns, mais malheureusement sombres et ternes qui recouvrent ces esquisses.
La quantité et la qualité de ces trente-trois tableaux montrent combien Collin de Vermont s’est attaché à ce travail. Après ce constat, on peut s’interroger sur le "non — devenir" de ces esquisses. Le nombre et le temps ont peut-être freiné Collin de Vermont dans un projet plus ambitieux. Mais, s’il y avait projet, on peut s’étonner du temps qu’a pris l’exécution de ces esquisses ; plus de quatorze années. On peut alors penser que celles-ci étaient peut-être destinées à être gravées ou alors qu’elles ont été exécutées pour elles-mêmes.

Le second intérêt de ce Salon, c’est la présence de deux portraits peints par Collin de Vermont : l’un du peintre Lépiciè (N°40) et l’autre de son père (N°39) (135). C’est une nouveauté. C’est la première fois que Collin de Vermont expose des portraits.

Deux années plus tard, au Salon de 1753, Collin de Vermont présente un sujet tiré de Catulle : — les Noces de Thétis et Pelée (N°51)."Tableau en largeur de 4,5 pieds de H. pour 3 de L., représentant les Noces de Thétis et Pelée. Les époux y avaient invité tous les Dieux à l’exception de la Discorde : mais, elle s’y glissa furtivement et jeta sur la table une pomme d’or sur laquelle elle avait écrit ces mots : Pour la plus belle ; cette inscription que Mercure fit remarquer à l’assemblée excita bientôt entre les trois principales divinités, cette fameuse dispute qui causa dans la suite tous les malheurs de la guerre de Troie "  indique le livret du Salon (136). Thème mythologique qu’il avait déjà peint pour le Salon, de 1737. Cette toile est perdue, il est donc impossible d’en faire une étude stylistique. Il est dommage de ne pas connaitre le tableau, de 1737, ni celui, de 1751, car il aurait été intéressant de saisir l’évolution stylistique du peintre en comparant ces deux tableaux séparés de quatorze années.

Deux sujets d’histoire ancienne : — Alexandre serrant les ouvrages d’Homère (N°52) et — Alexandre résistant au sommeil (N°53) — tableau gravé par René Gaillard (1722-1790) sous le nom :"la Vigilance d’Alexandre d’après Colin" (estampe vendue en 1784 au prix de 5 Livres) (137) — et deux sujets religieux : — la Présentation de la Vierge au temple (N°54) et — un Christ mort (N°55) sont exposés au Salon de 1755 (138). Les tableaux : Alexandre serrant les ouvrages d’Homère, Alexandre résistant au sommeil et un Christ mort sont perdus.

La Présentation de la Vierge au temple (N°54), présentée au Salon de 1755, a été commandée pour le Roi par le Marquis de Marigny en 1754 : "Ce tableau a été donné par le Roi à l’église neuve de Saint-Louis de Versailles », précise le livret du Salon de 1755 (139). Marigny aurait voulu que Van Loo se charge de la décoration du porte-autel de l’église neuve de Saint-Louis de Versailles (140), mais celui-ci était trop occupé pour accepter ce travail. Lépicié proposa Collin de Vermont pour cette tâche. Voici en quels termes il écrivit à Marigny, le 3 avril 1754, pour présenter celui qui fit son portrait, en 1751 : "Je ne crois mieux pouvoir remplir vos vues pour l’exécution du tableau qui doit être mis au maître-autel de l’église Saint-Louis de Versailles qu’en vous proposant M. de Vermont, Professeur de l’Académie. C’est un habile homme, sçavant dessinateur, et dont le vrai genre est celui de traiter des sujets pieux. Il se plaît dans ces sortes de compositions, et je pense qu’il est toujours à propos, pour s’assurer du succès d’un ouvrage, d’avoir égard à tout ce qui peut-être analogue au caractère de l’artiste. J’aurais l’honneur encore de vous observer encore, Monsieur, que le Sr de Vermont pourra commencer sur-le-champ le tableau. Je connois sa façon de penser et je ne doute point qu’il ne fasse les plus grands efforts pour mériter votre suffrage et répondre aux grâces que vous lui avés déjà faites... (141). Le 27 mars 1754, Vandières répond à la correspondance de Lépicié par cette lettre : "J’approuve Monsieur le choix que vous proposez du Sr Vermont pour exécuter le tableau destiné au maître-autel de l’église Saint-Louis ; je vais lui écrire par ce courrier afin qu’il travaille incessamment..." (142). Ce même jour, Marigny écrit à Collin de Vermont pour l’informer de son choix : "Monsieur de Vermont, Versailles 27 mars 1754 "Le Roi ayant accordé Monsieur un tableau pour le maître-autel de Versailles, je crois ne pouvoir mieux faire que de vous choisir pour l’exécution de ce tableau persuadé que le soin que vous prendrez de le rendre digne de la destination justifiera ma confiance, ce confirmera l’opinion avantageuse que vos précédents ouvrages m’ont donné de vos talents je suis, Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur." (143). Par ces deux lettres nous savons comment, le 27 mars 1754, Marigny s’est remis au choix de Lépicié et a passé commande du tableau à Collin de Vermont, mais là ne s’arrête pas la rôle de Marigny, il proposa des réflexions pour le décor du maitre-autel. Le 30 juin 1754, dans une lettre à Lépicié il émet cette observation : "Si M.de Vermont peut faire usage, Monsieur, de ma réflexion j’en serai fort aise ; mais si la composition de son tableau ne luy permet pas, j’approuve fort qu’il se détermine pour le mieux..." (144). Il est dommage de ne pas connaître la réflexion de Marigny sur la manière de composer le tableau et quels étaient les arguments de cette réflexion. Par une lettre du Comte du Muy, Directeur des Economats pour la construction de l’église Saint-Louis de Versailles, du mois d’aout 1755, on apprend que le tableau est terminé, mais étant donné ses dimensions, on ne trouve pas d’endroit pour le conserver (145). Ce tableau sera estimé à 4500 Livres. Cette somme sera versée au peintre en trois versements : 1500 Livres, le 11 juillet 1757, 1200 Livres, le 7 octobre 1757 et 1800 Livres, le 11 juillet 1759 (146). C’est la plus grosse somme que Collin de Vermont a reçue pour un tableau commandé par les Bâtiments du Roi. Il faut pour expliquer ce montant préciser la grandeur de la toile : 17 pieds et 3 pouces de haut, sur 8 pieds 2 pouces de large (147), c’est dire combien cette décoration du maître-autel de l’église Saint-Louis de Versailles est une commande importante.
La toile est dans un cadre en plein cintre. Collin de Vermont, comme à son habitude, a disposé les figures sur un fond architectural. Les personnages sur un escalier — comme l’impose l’iconographie de cette scène — sont placés sur une diagonale ; en haut, le Grand Prêtre tend les bras à la petite Marie qui, au centre du tableau, sur une marche inférieure est agenouillée dans une attitude de prière, suivie par sa mère et par son père, chacun sur une marche plus bas. Autour des principaux acteurs se groupent d’autres personnes qui assistent à la scène et qui ferment la composition de tous côtés. Au-dessus de la Vierge, deux anges thuriféraires portent les deux couronnes qui lui sont destinées. A côté de ce groupe se distinguent deux figures féminines qui occupent l’espace, en bas à gauche, du tableau. Au premier plan, une femme, tenant sur ses genoux une cage avec des colombes, montre du doigt la Présentation de la Vierge au Grand Prêtre tandis que son regard se tourne vers une autre femme, présentée de dos, qui semble s’interroger sur cette scène. Cette dernière se place sur une verticale qui passe par le personnage qui tient la robe du Grand Prêtre, puis par les deux cierges portés par trois enfants, dont on ne voit que les visages, et enfin par une colonne torsadée, pièce du baldaquin ou symbole des colonnes de la Confession de Saint-Pierre de Rome, placée devant un pilastre. Serait-ce, ici, une lecture verticale qui symboliserait par cet axe la présence céleste ? Un jeu savant des regards réunit tous ces personnages qui malheureusement semblent figés et dépourvus de tout souffle de vie. Collin de Vermont n’a pas réussi à rendre le sentiment de religiosité de cette Présentation. Les expressions et les attitudes individualisent les personnages au lieu de les réunir. Les couleurs, aujourd’hui, ternies, ne permettent pas d’apprécier à leur juste valeur les coloris. On peut noter la juxtaposition des tons froids : bleu et vert, des vêtements de la Vierge et de Sainte-Anne s’opposant aux coloris plus chauds des vêtements du Grand Prêtre, rose, jaune, bleu et blanc. On peut aussi différencier les tons bruns dans la partie inférieure de la toile incarnant le monde terrestre aux tons bleus dans la partie supérieure représentant le monde céleste. Les effets de perspective sont obtenus par les marches de l’escalier sur lesquelles est posée une corbeille de fruits — corbeille que l’on a déjà vue dans le dessin préparatoire de l’Annonciation de l’église Saint-Merry à Paris — qui meuble l’espace et par les ouvertures dans l’architecture classique, symbolisant le temple, d’une grande arcade en plein cintre et d’une sorte de petit oculus qui serait tronqué au-dessus de cette arcade donnant sur l’extérieur. Ce tableau devait occuper l’arcade du fond dans la chapelle de la Vierge. Il était destiné au maître-autel de l’église et avait été composé pour continuer la perspective de l’édifice (148). L’architecture du tableau reproduisait le style même de la chapelle vue d’une certaine distance. Malheureusement, l’adaptation de la composition au format du cadre n’est pas totalement convaincante. L’architecture classique, servant de fond au tableau, est beaucoup trop parallèle par rapport aux montants du cadre de la toile. Elle aurait dû être axée vers la profondeur du coté droit de la toile. La partie gauche du tableau connait une surcharge par la présence de la colonne torsadée devant une architecture monumentale. Surcharge qui n’est pas contrebalancée dans la partie droite de la toile. Ce véritable problème de construction et d’adaptation au format — on peut noter aussi le petit oculus tronqué en haut de la toile (déjà mentionné) — laisserait supposer qu’à l’origine le format n’était peut-être pas celui que nous connaissons, aujourd’hui, et que la partie droite de la toile est peut-être manquante ainsi que sa partie haute ? Hypothèse qui se vérifie si on convertit les mesures de l’époque en mètres : 17 pieds et 3 pouces de haut pour 8 pieds et 2 pouces de large donnent  5,60 m de haut et 2,65 de large ; les dimensions actuelles sont de 4 m de haut sur 2,50 m de large (149).

Le dernier tableau daté de Collin de Vermont est une Adoration des Mages (N°56) qu’il présente, au Salon de 1759 (150). Il est regrettable de terminer l’étude chronologique de l’œuvre de Collin de Vermont par un tableau dont on n’a aucune trace, si ce n’est qu’il apparait dans l’inventaire après décès du peintre (151) et pour lequel la seule critique qui nous soit parvenue soit négative : "De Collin de Vermont il y a une mauvaise Adoration des Rois ". L’auteur de cette phrase se nomme Diderot (152). Diderot mentionne que ce tableau est accroché à l’église Saint-Louis de Versailles. Aucun document ne confirme cette indication.

Pendant ces années, Collin de Vermont, partage son temps entre son atelier où il formera Deshayes  Colleville (153) et Gabriel-Jacques de Saint-Aubin (154) et ses différentes occupations à l’Académie. Ses conseils sont souvent recherchés et ses avis souvent écoutés. Il est chargé d’examiner les tableaux présentés aux Salons (155). Les ouvrages des aspirants peintres ou graveurs lui sont soumis (156). Et son jugement littéraire et artistique lui vaut d’être consulté pour l’impression du livre : "Les éléments des Beaux-Arts" de Dandré-Bardon, en 1759 (157). Sa présence et sa disponibilité à l’Académie et la reconnaissance de son travail feront que le 6 juillet 1754, l’Académie le nommera Recteur-Adjoint (158). A la fin de l’année 1760, Collin de Vermont tombera malade ; le 29 novembre 1760, il recevra la visite de Van Loo et de Coustou envoyés par l’Académie (159). Quelques mois plus tard, le 17 février 1761, âgé de 68 ans et 10 mois, il décédera à son domicile rue Platrière à Paris (160). Il sera inhumé en l’église Saint-Eustache (161). Sa mort sera annoncée à l’Académie le 28 février 1761 (162).


- Les chiffres renvoient aux notes ci-dessous.
- Les Numéros renvoient au catalogue de l’œuvre peint ci-dessous.

Yves MALRIN

Notes :

(89)    Locquin, 1912, pp.174-175.

(90)    Procès-verbaux...,t.VI,p.45/pp.70-71.

(91)    Locquin, 1912, p.31.

(92)    Locquin, 1912, p.19.

(93)    Locquin, 1912, p.31.

(94)    Locquin, 1912, p.30.

(95)    Locquin, 1912, p.19.

(96)    Archives Nationales, série O1/1907. N.A.A.F, 1903, p.18.

(97)    Archives Nationales, série O1/1907.

(98)    Archives Nationales, série O1/1934/A2.

(99)    Locquin, 1912, p.22.

(100)             Salon de 1746, Livret officiel N°39 & 38.

(101)             Laffont de Saint-Yenne, 1747, pp.80-87.

(102)             Procès-verbaux..., t.VI, p.45.

(103)             Grimm, Diderot...,1877-1882, t. I, pp.91-93.

(104)             Procès-verbaux..., t.VI, pp.71-72.Archives Nationales, séries O1/1934/A1 &            O1/1979.

(105)             E. Delignières, Abbeville, 1865, p.18,N°37. N.A.A.F., 1904, pp.212-215.

(106)             Salon de 1748, Livret officiel N° 56

(107)             Archives Nationales, séries O1/1934/A1 & O1/1979 & O1/1921/B2.

(108)             Archives Nationales, série O1/1921/B2.

(109)             Messelet in L. Dimier, 1930, t. II, p.260.

(110)             Procès-verbaux..., t.VI, p.127.

(111)             Procès-verbaux..., t.VI, p.128.

(112)             Procès-verbaux..., t.VI, p.355.

 113) Procès-verbaux..., t.VI, p.369.

(114)             Procès-verbaux..., t. VII, p.178.

(115)             Archives Nationales, séries O1/1921/B2 & O1/1934/A1.

(116)             Salon de 1750, Livret officiel N°29 & N°30.

(117)             Salon de 1751, Livret officiel N°12 & N°13.

(118)             Engerand, 1901, pp.101-102.

(119)             Archives Nationales, série O1/1979.

(120)             Pierre de Nolhac pense que deux des six sujets tirés des fables de La Fontaine pour l'appartement de Marie joseph de Saxe était de Collin de Vermont. Nolhac, Paris, 1898, p.154.

(121)             Archives Nationales, séries O1/1934/A2 & O1/1979.

(122)             Salon de 175O, Livret officiel N°31 & N°32.

(123)             Voir. Gendre, Revue du Louvre, 1983, pp.399-403.

(124)             Voir. Livret officiel du Salon de 1737.                       

(125)             Salon de 1751, Livret officiel N°11.

(126)             Catalogue de vente Collin de Vermont, Paris, 1761.

(127)             Mercure de France, Octobre 1751, p.164.

(128)             Caylus, Paris, 1910, p.2OO.

(129)             Caylus, Paris, 1910, p.2OO, note N°1. 

(130)             Voir. Gendre, Revue du Louvre, 983, pp.399-403.

(131)             Cyropédie de Xénophon ; L'histoire d'Alexandre le Grand par Quinte
Curce; L’histoire de Cyrus d'Hérodote.

(132)             Xénophon: Cyropédie ; Hérodote : L'histoire d'Alexandre.

(133)             Catalogue de  vente Tableaux anciens et modernes, Paris, Hôtel Drouot,
Jeudi 12 février 1925, pp.3-7, N° 2 & 33.

(134)             Salon de 1751, Livret officiel N°11.

(135)             Salon de 1751, Livret officiel N°14 & N°15.

(136)             Salon de 1753, Livret officiel N°15.

(137)             Pognon & Bruand, Inventaire du fond français des graveurs du XVIII° siècle,
Paris, 1962, t. IX, p.412,  N°191.

(138)             Salon de 1755, Livret officiel N° 19& 22.

(139)             Salon de 1755, Livret officiel N° 19.

(140)             Archives Nationales, série O1/1908.

(141)             Archives Nationales, série O1/1908.

(142)             Archives Nationales, série O1/1908.

(143)             Archives Nationales, série O1/1908.

(144)             Archives Nationales, série O1/1908.

(145)             Archives Nationales, série O1/1908.

(146)             Archives Nationales, série O1/1979.

(147)             Dezallier d'Argenville, Voyage des environs de Paris, 1778, p.119. 
Salon de 1755, Livret officiel N°19.

(148)             Barthélemy, pp.408-411.

(149)             Gallet, 1897, Versailles, pp.100-101. Messelet in L. Dimier, 1930, t. II,
p.262.

(150)             Salon de 1759, Livret officiel N°9.

(151)             Catalogue de vente Collin de Vermont, Paris, 1761.

(152)             Diderot, 1957, Oxford, t. I, p.40 & p.64.

(153)             Bénézit, & Deshays, p.520. Messelet in L. Dimier, 1930, t. II, p.261.

(154)             N.A.A.F 1885, p.105.

(155)             Procès-verbaux..., t.VI, pp.127-128.

(156)             Procès-verbaux..., t. VI, p.156 & p.231 & p.274.

(157)             Procès-verbaux..., t. VII, p.90 & p.102.

(158)             Procès-verbaux..., t.VI, p.391.

(159)             Procès-verbaux..., t. VII, p.150.

(160)             Herluison, 1873, Orléans, p.86.

(161)             Herluison, 1873, Orléans, p.86.


(162)             Procès-verbaux..., t. VII, p.157.

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